Dans un récent article À quel étage habitez-vous ? ou le secret du charme de Brad Pitt. j’ai décrit l’influence de notre morphologie sur notre caractère et même, pourquoi pas (certains le pensent), sur notre destinée. Notre corps est en quelque sorte notre véhicule terrestre. C’est ce corps que nous habitons, du début à la fin de notre vie, qu’il nous plaise ou non... C’est lui, il faut bien le reconnaître, qui fixe les grands traits de notre personnalité. Nous avons ainsi vu que l’importance relative des trois étages de notre visage donne une indication sur nos centres d’intérêt dans la vie. Avons-nous une préférence pour les idées, les gens ou les choses ? Avons-nous une silhouette athlétique, un tempérament nerveux, ou sommes-nous portés sur la bonne chère ? Tous ces aspects sont grandement conditionnés, selon la morphopsychologie, par le développement des différentes feuilles du fœtus et des fonctions correspondantes (système musculaire, système nerveux, système digestif).
La personnalité d’un individu n’est pas seulement le résultat de son « caractère » tel qu’il résulte de sa morphologie.
L’étude de notre « véhicule » ne suffit pas à cerner notre personnalité. Nous devons maintenant nous pencher sur la façon dont nous nous orientons dans le monde. Nous sommes en effet dotés d’un cerveau qui enregistre des signaux venant de l’extérieur et aussi de l’intérieur. Comme les robots qui ont été envoyés sur Mars, nous disposons en quelque sorte de « capteurs » qui nous permettent d’appréhender le réel et de nous en construire une image. Ces « capteurs » sont des fonctions psychologiques et ils sont au nombre de 4 : la sensation, la pensée, le sentiment et l’intuition.
Ces fonctions sont actives en permanence dans notre cerveau et filtrent le réel. Mais elles ne sont pas toutes actives en même temps ! Chaque individu a tendance à donner la préférence à un type d’approche plutôt qu’à un autre. L’un s’appuiera plutôt sur sa faculté d’analyse, l’autre sur ses perceptions, etc. Selon l’importance que l’individu accorde à chacune de ces fonctions, il en résulte un type psychologique particulier. Naturellement, même si nous donnons de l’importance à une fonction particulière, nous utilisons également les 3 autres, mais dans une proportion moindre (On parle ainsi de fonction dominante, de fonction auxiliaire, de fonction tertiaire et de fonction inférieure).
C’est le psychologue suisse Carl-Gustav Jung qui a mis en évidence et décrit en détail ces 4 types psychologiques dans un célèbre ouvrage Les types psychologiques publié en 1921. Par la suite, Isabel Myers-Briggs a développé ce modèle en ajoutant 2 autres fonctions (« Jugement » et « Perception ») dont nous reparlerons. Mais pour l’instant, nous allons nous concentrer sur les 4 « capteurs » définis à l’origine par Jung.
Carl-Gustav Jung
Carl-Gustav Jung est un psychologue suisse né en 1875. il fut l’élève de Freud et aurait pu être son continuateur s’il ne s’était opposé à son maître sur bien des points. Il a de fait créé sa propre école, la psychologie analytique, basée sur le développement du soi, l’individuation, un processus de métamorphose de l’âme comparable au travail effectué par les alchimistes sur la transmutation des métaux. S’appuyant constamment sur les mythes et légendes de l’humanité pour percer les secrets de l’inconscient humain, il a mis en valeur de grands concepts tels que les archétypes, l’animus, l’anima, la persona, la synchronicité et bien sûr l’inconscient collectif qui, dans les profondeurs, nous relie tous les uns aux autres.
J’ai découvert Jung en 1990 par son autobiographie, Ma Vie. Pour comprendre ce qui le différencie de Freud, je vous invite à lire en ligne le chapitre de mon récit Ces vies dont nous sommes faits que je lui ai consacré :
www.christianjuliaecrits.fr/cesviesdontnoussommesfaits/chapitre10
Êtes-vous du dehors ou du dedans ?
Avant d’entrer dans le détail de ces fonctions qui nous permettent de nous orienter dans le réel, Jung a déterminé que les individus se répartissent en deux grands groupes psychologiques : les extravertis et les introvertis.
Définir ces catégories n’est pas facile, car celui qui se livre à cet exercice est forcément lui-même soit un extraverti soit un introverti. L’extraverti va naturellement considérer que le modèle idéal est le sien, l’introversion étant le fait d’individus mystérieux et peu sociables. À l’inverse, à moins d’être d’une objectivité hors norme, l’introverti trouvera que les extravertis sont des excités qui s’emballent dès que la vie agite devant eux un hochet.
La guerre des types psychologiques est déclarée ! En fait, ces deux types ont tendance effectivement à ne pas se comprendre et à mutuellement s’accuser d’être dans l’erreur. Quelles sont les pièces à verser au dossier ?
Les extravertis sont des êtres qui portent davantage d’attention au monde extérieur qu’au monde intérieur (étant introverti, je pèse soigneusement mes mots pour désigner le camp adverse). Ils sont à la recherche de sensations et de stimulations venant de la réalité extérieure, et ils sont enclins à se méfier de tous les éléments qui viennent de l’intérieur, en quoi ils voient des imaginations, des délires, etc. Ils ont donc tendance à fuir la solitude et à mettre souvent le nez dehors en se livrant à toutes sortes d’activités culturelles, associatives, sportives, sexuelles, etc. Il faut qu’il se passe toujours quelque chose dans leur vie. Ils ont un agenda bien rempli, une foule d’amis et de centres d’intérêt (ou un ou deux centres d’intérêt qui les mobilisent totalement).
À l’inverse, les introvertis (l’étant moi-même je vais m’efforcer de ne pas « survaloriser » mon camp) accordent plus d’importance à leur monde intérieur. Ils ne ressentent pas le besoin d’être en permanence stimulés par quelque chose venu du dehors. Ils se méfient même de l’extérieur, qu’ils considèrent comme une illusion, un grand bal masqué chargé de nous tromper sur la vraie réalité des choses. Au contraire, tout ce qui vient du dedans d’eux-mêmes leur paraît beaucoup plus essentiel, profond, authentique. Ils se ressourcent très facilement dans la solitude tandis que les extravertis décompressent en allant boire un verre avec des potes dans un endroit bruyant et enfumé plein de jolies filles.
On le voit, cette définition est un peu plus subtile que le sens populaire donné à l’extraverti et à l’introverti. Il y a des extravertis vraiment ennuyeux et tristes, et au contraire des introvertis sociables et de bonne humeur.
Les 4 fonctions psychologiques - sensation, sentiment, intuition, pensée - vont donc se rencontrer, selon Jung, dans chacune de ces deux catégories - extravertis, introvertis - qui correspondent en fait pour le psychologue à des orientations opposées de l’énergie psychique (dirigée vers l’extérieur ou vers l’intérieur).
Mais revenons sur Mars !
De nombreuses sondes ont été envoyées sur Mars depuis quelques décennies, essentiellement pour y détecter de la vie, et donc dans un premier temps de l’eau, car sans eau, pas de vie possible. Longtemps les scientifiques ont nié avec un bel aplomb (comme toujours) qu’il pût y avoir de la vie sur Mars. Mars a très peu d’atmosphère, un champ magnétique en gruyère qui, contrairement au nôtre, ne la protège pas des émissions solaires mortelles. La température moyenne y est de -63° C. Cerise sur le gâteau, elle est le théâtre de tempêtes de sable permanentes. Bref, un enfer inhospitalier, glacial, mort.
Pour l’instant, l’heure est aux robots télécommandés depuis la Terre car envoyer des hommes sur cette planète n’est pas une mince affaire. Le voyage est long (entre 180 et 260 jours). Il faut faire « atterrir » [1] un engin très lourd (une dizaine de tonnes) qui comporte non seulement un espace suffisant pour faire vivre des humains dans un endroit pas trop confiné pendant environ un an, mais aussi un module pour redécoller de Mars et rentrer, le tout avec des réserves d’oxygène et de nourriture suffisantes. Il faut ensuite trouver des astronautes capables de vivre des mois quasiment enfermés en permanence, dans un espace réduit, avec un niveau élevé de stress. Et techniquement, faire atterrir un engin de plus d’une tonne sur cette planète est délicat. Repartir n’est pas non plus assuré ! Et pour couronner le tout, il faut 20 minutes pour envoyer des messages entre la Terre et Mars, autant dire que les dialogues sont quasiment impossibles.
Des Martiens sur Mars ?
Les engins envoyés sur la planète, comme récemment le robot Curiosity, nous ont donné beaucoup d’indices et les scientifiques désormais affirment avec beaucoup aplomb (comme à leur habitude) qu’il a bien existé de l’eau sur Mars. On a même cru voir des gouttelettes photographiées sur le pied de la sonde Phoenix Mars Lander (voir photos ci-dessous) ! En grattant la poussière cet engin a mis à jour ce qui semble être de la glace.
Qui dit glace dit eau et qui dit eau dit vie possible... Oui, même dans la glace... Des savants ont en effet découvert dans nos pôles des bactéries qui vivent dans la glace ! Elles créent une agitation autour d’elles qui fait fondre la glace dans leur environnement immédiat et comme cela, elles vivent. Bien sûr, on est loin du Martien tel qu’on l’imaginait dans les années 60, mais enfin, la possibilité qu’il y ait des formes de vie dans les profondeurs de Mars (ou, au pire, qu’il y en ait eu) est excitante, car cela serait ENFIN la preuve que nous ne sommes pas seuls dans l’univers : la vie serait apparue ailleurs que sur Terre. Même si l’on ne découvre qu’une colonie de bactéries neurasthéniques, ce sera extraordinaire ! [2].
Du coup, l’intérêt pour Mars ne cesse de grandir, et une mission habitée est à l’étude. Il est évident que les facteurs psychologiques sont d’une importance extrême pour constituer un équipage. Pour sélectionner les candidats, je vous propose donc de nous inspirer des types psychologiques de Jung en partant du principe que les 8 types décrits par le psychologue (2 énergies x 4 fonctions) doivent être tous représentés pour une belle harmonie de l’équipage [3].
Premier test
Dans notre vaisseau, il y aura deux équipes : l’une restera à bord et se chargera d’étudier les éléments apportés par les robots capteurs et par les membres de la seconde équipe, laquelle seconde équipe sortira, elle, du vaisseau et ira explorer l’environnement.
Dans quelle équipe souhaitez-vous être intégré ? Si vous êtes extraverti, je parie que vous choisirez l’équipe appelée à sortir. Si vous êtes introverti, il y a de fortes chances que vous soyez tenté de rester bien au chaud à l’intérieur à jouer avec vos instruments de mesure. Mais ce n’est pas sûr. Il y a des introvertis qui aiment bien aller voir ce qui se passe dehors. Je le sais, je l’ai déjà dit dans ce blog, quand je voyage à l’étranger, je me transforme en extraverti. Je consomme du monde extérieur. Mais il ne faut pas que ça dure trop longtemps, il faut vite que je rentre dans ma chambre d’hôtel tout seul. Idem pour les fêtes, j’aime beaucoup danser, voir du monde, fréquenter des endroits bruyants, mais pas longtemps. Et je connais des extravertis qui aiment bien aussi rentrer chez eux et fermer la porte à double tour pour être tranquilles.
Heureusement, nous sommes tous extravertis et introvertis. Répétons-le, ces caractéristiques ne sont pas des éléments figés, ce sont des attitudes face au réel. Ils n’ont pas de permanence. On peut connaître des phases d’extraversion et des phases d’introversion — dans sa vie, dans l’année, dans sa journée. Mais nous avons malgré tout une dominante, une énergie qui nous pousse plutôt vers l’extérieur ou vers l’intérieur. Il faut toujours éviter d’enfermer les individus dans des petits coffres-forts...
Personnellement, je rêverais d’aller fouler le sol de Mars. Mais je me connais, et je pense que je serai plus à l’aise en restant à l’intérieur du vaisseau (mais nous aurons peut-être des autorisations de sortie...).
Faites votre choix : équipe qui reste dedans ou équipe qui va dehors ? Vous avez choisi ? C’est votre dernier mot ? Cela prouve que vous vous connaissez déjà un peu. Il n’est pas toujours facile de déceler si l’on est extraverti ou introverti. Une étude américaine a montré que la population se répartit à peu près à égalité entre extravertis et introvertis. Et il n’y a pas de grande différence entre les hommes et les femmes sur ce point [4]. Ce résultat peut surprendre, car les médias ont tendance à sur-représenter les extravertis dans les émissions. Normal, ils leur fournissent forcément plus d’images que les introvertis... Ces derniers représentent en quelque sorte la « moitié silencieuse » — et quasi ignorée — de la population !
Donc, nous supposons que votre choix est fait. Si vous hésitez, rassurez-vous, je vous indiquerai plus bas des tests à effectuer. Mais la description des types psychologiques va sans doute vous aider à vous déterminer.
Continuons donc notre sélection.
Les 4 capteurs du réel
Pour nous faire une idée du monde réel, qu’il soit extérieur ou intérieur [5], nous avons à notre disposition 4 capteurs dont j’ai parlé au début, qui vont nous être aussi très utiles sur Mars. Nos cinq sens nous renseignent sur le monde qui nous environne, ou qui est en nous. Mais que faire de ce flot d’informations ? Il faut bien le traiter, l’ordonner, lui donner un sens. C’est là qu’interviennent nos 4 fonctions psychologiques.
Il s’agit de la sensation, du sentiment, de l’intuition et de la pensée. Voyons ces fonctions en détail [6] :
La fonction sensation. C’est la plus évidente : c’est elle qui nous dit : « Il se passe quelque chose », « Il y a quelque chose devant nous », « On a entendu quelque chose », « On a eu une idée »,« On a fait un mauvais rêve », etc... C’est elle qui nous aide à décréter qu’une chose existe ou pas. C’est évidemment très important.
La fonction pensée nous pousse à analyser la chose, à la relier aux millions de choses déjà classées dans les petites boîtes de notre esprit, ou éventuellement à en créer une nouvelle pour elle. Est-elle connue, inconnue ? Est-elle banale ou insolite ? À quelle catégorie du réel appartient-elle ? Que nous dit-elle sur son environnement, sur le nôtre ? Etc.
La fonction sentiment nous permet de déterminer la « valeur » de la chose qui se présente à nous. Est-elle favorable ou défavorable ? Est-elle dangereuse ou inoffensive, importante ou sans intérêt ? Elle a une connotation affective et très personnelle, subjective. Mais le terme « sentiment » ne doit pas nous abuser. C’est le sens que l’on retrouve dans une expression telle que « Sur cette affaire, mon sentiment est que... ». C’est l’expression d’un ressenti, d’une sorte de flair.
Enfin la fonction intuition est plus mystérieuse. Elle situe la chose que nous rencontrons dans une sorte de dynamique spatio-temporelle. Elle nous pousse à détecter d’où vient cette chose, et où elle va. En quoi elle va se transformer, quelle sera sa durée de vie, sur quoi elle va déboucher, quelles seront ses conséquences. C’est quasiment un sixième sens qui nous pousse à nous interroger sur la dynamique profonde de la chose qui croise notre route. C’est aussi beaucoup notre inconscient profond qui est mis en œuvre par cette fonction psychologique.
Jung résumait ainsi ces fonctions :
« La Sensation (c’est-à-dire, le sentiment de perception) vous dit que quelque chose existe ; la réflexion [pensée] vous dit ce que c’est ; le sentiment vous dit si c’est agréable ou pas ; et l’intuition vous dit d’où il vient et où il va. »
Jung a regroupé ces fonctions deux par deux. Deux fonctions sont dites « rationnelles », c’est-à-dire qu’elles analysent le réel pour en tirer des conclusions (affectives ou intellectuelles), il s’agit du sentiment et de la pensée. Les deux autres sont dites « irrationnelles », c’est-à-dire qu’elles recueillent l’information sans la juger, c’est le cas de la sensation (perception immédiate) et de l’intuition (perception temporelle).
Chaque individu a tendance à s’appuyer sur une de ces fonctions de façon privilégiée. Cela donne un « type psychologique », selon la terminologie de Jung. Généralement, l’individu s’appuie aussi sur une fonction auxiliaire, qui découle de la première. Concrètement, si vous êtes extraverti, votre fonction auxiliaire sera introvertie, donc pas facilement décelable par l’entourage. Inversement, la fonction auxiliaire d’un introverti sera extravertie, donc plus visible que sa dominante...! Si votre fonction principale est rationnelle (sentiment ou pensée) votre fonction auxiliaire sera irrationnelle (sensation ou intuition). Et vice-versa. Chaque type psychologique peut ainsi avoir deux possibilités de fonction auxiliaire. Par exemple, un introverti-intuition, comme c’est mon cas, aura une fonction auxiliaire extraverti-pensée ou extraverti-sentiment (en l’occurrence extraverti-pensée pour moi). Il faut garder ces couples à l’esprit, mais pour notre sélection d’astronautes nous allons simplifier les choses...
L’équipe d’explorateurs
Dans notre exploration de la planète Mars, nous avons besoin de toutes ces fonctions. Imaginons que le lendemain de leur atterrissage une sortie est prévue pour notre équipe d’explorateurs, les extravertis. Ils sont quatre :
l’extraverti-sensation
l’extraverti-pensée
l’extraverti-sentiment
l’extraverti-intuition
Comment vont-ils se comporter dehors ?
L’extraverti-sensation va éprouver une très grande excitation en foulant le sol de Mars. Il va vouloir tout regarder, tout sentir, tout « goûter ». Il va chercher à multiplier les expériences, les points de vue, tester l’interaction entre les éléments qu’il va découvrir. Il va être sensible au moindre changement de température, au moindre soulèvement de la poussière rouge de la planète, à la moindre variation de lumière. Il sera un infatigable marcheur, impatient d’explorer les moindres recoins.
L’extraverti-pensée est en train d’analyser ce qu’il voit avec son scanner mental. Dimension des objets, couleurs, textures, orientation, poids — il passe tout au crible. Il cherche à organiser logiquement le monde nouveau qu’il découvre. Il essaie de trouver des équivalences avec notre monde. Il veille aussi à ce que l’équipe reste bien groupée, que chacun remplisse sa mission, ne perturbe pas les autres dans leur découverte. Il veille aussi à ce que l’équipe ne modifie pas trop l’environnement. Laisser le moins de traces possibles, préserver cet espace vierge. Il regarde constamment sa montre. Ils ne doivent pas épuiser leurs réserves d’oxygène. Et leur température ne doit pas chuter. Est-ce lui le chef ? D’après vous ? Hum... Il y a des chances.
L’extraverti-sentiment est plus préoccupé par son équipe que par le paysage ! Il espère que la sortie va bien se passer, qu’il n’y aura pas de problème technique, d’ivresse de l’espace, de dérangement psychologique. Il se demande déjà si l’homme peut vivre dans un tel enfer. S’il peut y connaître le bonheur ou tout simplement y vivre bien. Il se demande comment il va gérer la relation avec l’équipe qui est restée dans le vaisseau et ne va pas sortir. Il sait que cette équipe peut les secourir en cas de problème. Mais ne va-t-elle pas souffrir de confinement pendant tout le séjour ?
L’extraverti-intuition, lui, ne s’en tient pas au monde tel qu’il est, il imagine ce qu’il pourrait être. Il a déjà repéré les endroits où il faudrait creuser, ceux où l’on pourrait installer une base. Il cherche à relier entre eux les phénomènes qu’il observe. Où va le sable quand le vent se lève ? Que se passe-t-il à l’ombre ? Quel tracé emprunte ces sillons qu’ils voient au sol ? Il remarque aussi... ce qu’il ne retrouve pas sur Mars et qu’il connaît bien sur Terre. Il sent dès sa première sortie si l’expérience valait le coup ou si elle n’apportera rien à l’humanité.
Voilà les « individualités » qui composent notre casting martien, du moins pour l’équipe qui sort. Ils sont complémentaires, mais peuvent aussi entrer en conflit. L’extraverti-intuition ne fait pas bon ménage avec l’extraverti-sensation. Le premier est déjà passé deux coups plus loin tandis que le second contemple encore le premier coup. Et inversement, l’extraverti-sensation trouve que l’extraverti-intuition n’arrive jamais à s’en tenir aux faits, rien qu’aux faits et part très vite dans des délires fumeux ! De l’autre côté, l’extraverti-sentiment et l’extraverti-pensée ne font pas bon ménage non plus. Le premier est trop soumis à ses émotions et ne raisonne pas assez. Le second, lui, est tellement occupé à décortiquer les choses qu’il en oublierait presque sa part d’humanité. En revanche, bien sûr, l’extraverti-pensée va s’entendre très bien avec l’extraverti-intuition. Ensemble, ils vont construire la nouvelle Mars ! L’extraverti-sensation et l’extraverti-sentiment vont, eux, émerveiller les foules en donnant une multitude de conférences en rentrant sur Terre ! Mais nous verrons plus bas que les « couples » se formeront sur des bases peut-être plus complexes...
Alors, lequel de ces profils vous semble le plus proche du vôtre ? Dans quel portrait vous reconnaissez-vous ? Avec quel membre de l’équipe allez-vous « copiner » et avec lequel risquez-vous d’être en conflit ?
L’équipe du vaisseau
Voyons maintenant l’autre équipe. Nous avons donc supposé que l’équipe qui restait à l’intérieur du vaisseau était constituée de ce que Jung appelle les introvertis, des astronautes qui se fient plutôt à leur monde intérieur qu’au monde extérieur. Nous allons retrouver chez les membres de cette équipe les mêmes fonctions psychologiques que pour les extravertis : sensation, pensée, sentiment, intuition.
L’introverti-sensation de notre équipe est notre encyclopédiste. Il possède une mémoire faramineuse de tous les événements du passé, de tous les concepts, de toutes les découvertes scientifiques. C’est Wikipédia à lui tout seul. Quand les instruments dont est doté son vaisseau lui communiquent une information, immédiatement, il la compare à ce qu’il sait déjà. Et il enregistre la nouvelle donnée pour s’en servir plus tard. Car il n’est pas dans l’instant, ni dans le futur, mais il vit dans le passé, dans la mémoire. Il voit le présent avec les yeux d’hier. Il connaît sur le bout des doigts tous les résultats des précédentes explorations de Mars par des robots, si bien que lorsque l’équipe d’extravertis rapportera des éléments de son exploration, il pourra savoir immédiatement ce qui est nouveau et ce qui ne l’est pas, ce qui est important et ce qui n’apporte rien. Un puits de science !
L’introverti-pensée est en contact avec son monde intérieur d’idées et de concept. Il projette sur le monde extérieur une grille d’analyse très personnelle qu’il a du mal à communiquer aux autres. Sa grande spécialité est de toujours savoir replacer un événement, une idée, une découverte, dans un cadre plus vaste, plus profond. Il n’a pas son pareil pour débusquer les incohérences, les trucs qui clochent. C’est l’homme des systèmes. Il semble en connexion directe avec la matrice, la structure profonde des choses. Si notre introverti-sensation connaît le classement de toutes les choses, notre introverti-pensée sait pourquoi elles sont classées ainsi. Il a accès à l’envers du décor, aux rouages secrets du monde. C’est lui qui, dans l’équipage, saura donner un sens à tous les événements, saura resituer leur aventure dans un cadre plus général, lui qui - le mot est lâché - saura mettre en évidence la philosophie des aléas de leur aventure.
L’introverti-sentiment est précieux dans une pareille expédition. C’est lui donne du sens aux actions de l’équipage, et à ses actions, en premier lieu. C’est un peu le supplément d’âme de l’expédition. Sans cesse il vérifie que ses actes sont en accord avec ses valeurs personnelles. C’est lui qui, à chaque occasion, rappelle aux autres pourquoi ils sont là et ce qu’ils doivent faire sur Mars. Et ce qu’ils ne doivent pas faire aussi. Les valeurs sur lesquelles il s’appuie lui paraissent tellement évidentes qu’il a parfois du mal à les exprimer, à les faire partager, mais pour tous les autres, c’est un guide moral très sûr et dans une épopée où l’on se peut se laisser emporter par l’enthousiasme, l’inattendu, il est bon d’avoir quelqu’un qui replace chacune des initiatives dans un cadre éthique.
L’introverti-intuition est un peu le médium de notre équipage, notre Nostradamus. Il établit avec son inconscient une relation très étroite qui lui donne en quelque sorte un don de seconde vue. Il est même capable de prédire l’avenir. Il pressent les événements, même sans avoir de données scientifiques sur quoi se reposer. Il semble puiser son information dans une source très ancienne, très profonde, une sorte de mémoire du monde, d’archive de l’humanité. À peine arrivé sur le sol de Mars, il a déjà prévu tout ce qu’il allait advenir à leur mission. Sa compétence est précieuse, car tous les astronautes vivent dans une certaine anxiété. Leur mission est bien sûr à haut risque. Chaque jour, ils ont des décisions importantes à prendre, qui, pour la plupart, peuvent mettre en péril leur existence à tous. Le don de notre introverti-intuition leur est précieux.
S’il arrive malheur à l’expédition, ces quatre là seront très utiles. L’introverti-sensation analysera l’origine du problème, l’introverti-intuition regardera dans sa boule de cristal pour savoir comment l’affaire va se terminer. L’introverti-sentiment cherchera à mettre en lumière les responsabilités dans la débâcle et l’enchaînement des erreurs (ou des fatalités) et l’introverti-pensée en tirera un enseignement pour les futures expéditions... C’est sans doute sur la base de ces analyses des introvertis que les extravertis se mettront en quête d’une solution, et plongeront leurs mains dans le cambouis...! L’extraverti-sensation fera en quelques secondes le tour des ressources qui sont encore exploitables. L’extraverti-intuition imaginera comment exploiter ces éléments d’une autre manière pour résoudre leur problème (c’est le Mc Gyver de l’équipe). L’extraverti-sentiment va ouvrir une cellule psychologique pour veiller à la bonne santé mentale de l’équipage dans ce moment délicat. Enfin, l’extraverti-pensée va se demander pendant des heures pourquoi on n’a pas vu venir le problème et quelle procédure il faudra suggérer pour que cela ne se reproduise plus. Il est déjà en train de dessiner les plans d’un futur vaisseau FIABLE avec l’extraverti-intuition.
Bref, comme vous le voyez, il faut de tout pour faire un monde et chaque vaisseau allant explorer Mars devrait impérativement être composé en suivant les types psychologiques de Jung (selon moi).
Sans doute êtes-vous capable, maintenant, de dire quel type d’explorateur vous feriez sur Mars.
Pour Jung, il est impossible à un individu de développer en même temps et au même niveau les quatre fonctions. C’est dans l’enfance qu’il s’appuie sur une fonction de préférence à une autre, souvent sous la pression de l’environnement social et aussi parce que cette fonction semble lui procurer certains succès, « naturellement », sans trop d’efforts. Puis la fonction auxiliaire apparaît à l’adolescence pour rééquilibrer la première (dans les deux axes, comme on l’a vu plus haut : extraversion/introversion rationnel/irrationnel).
Chacun de nos 8 types « dominants » ayant 2 possibilités de fonction auxiliaire, on a donc au total en réalité 16 types psychologiques différents. Mais pour notre sélection d’astronautes, les places dans le vaisseau étant limitées, on n’a retenu que les types selon la fonction dominante.
Fonctions psychologiques et modes d’action : le 4e élément.
C’est le 4e critère introduit par Myers-Briggs en 1980 qui va nous aider à déterminer quelle est notre fonction dominante et quelle est notre fonction auxiliaire. Ce 4e critère relève moins de la psychologie de l’individu que de son comportement. La psychologue met en valeur deux types d’individus opposés : les « ordonnés » et les « non ordonnés ». Les « ordonnés » sont des personnalités très structurées, très organisées, tandis que les « non ordonnés » sont plus souples, plus flexibles, coulants (cools ?). Évidemment, pour constituer nos équipages, nous avons négligé ce critère car nous supposons que sur Mars l’improvisation et le laisser-aller n’ont pas leur place ! Nous n’aurons donc dans notre expédition que des « ordonnés » ! Mais rassurez-vous, tout n’est pas perdu pour les « non ordonnés » ; l’ordre, la méthode, l’exigence, la planification, ça s’apprend ! [7]
Cette classification s’appuie sur la distinction de Jung entre fonctions « rationnelles » (pensée et sentiment) et « irrationnelles » (intuition et sensation). Myers-Briggs a donc appelé le mode d’action ordonné « Jugement » (rationnel) et le mode d’action non ordonné « Perception » (irrationnel). Un individu ordonné mettra en avant (extraversion) les fonctions rationnelles correspondantes : sentiment ou pensée, tandis que chez un individu non ordonné les fonctions irrationnelles correspondantes : intuition ou sensation seront extravertis. L’intérêt de ce 4e critère binaire [8] est de nous aider à déterminer la fonction dominante et la fonction auxiliaire d’un individu :
E/I |
J/P |
Fonction dominante |
Fonction auxiliaire |
Extraverti | Ordonné | Sentiment ou pensée | Sensation ou intuition |
Non ordonné | Sensation ou intuition | Sentiment ou pensée | |
Introverti | Ordonné | Sensation ou intuition | Sentiment ou pensée |
Non ordonné | Sentiment ou pensée | Sensation ou intuition |
Qui va s’entendre avec qui ?
Selon le principe que les opposés s’attirent, on peut penser que chaque astronaute aura tendance à copiner avec son « complémentaire ». Mais ce n’est pas si simple ! Comment déterminer son « complémentaire » ? Est-ce l’individu qui a comme fonction dominante sa propre fonction auxiliaire ? Ce qui est sûr c’est que les introvertis entre eux s’entendent très bien, mais s’ennuient. Les extravertis ensemble s’entendent très bien aussi, mais s’affrontent sur une vision purement extérieure du monde. Ensuite, tout dépend des axes rationnel/irrationnel. Il peut y avoir des divergences sur l’interprétation du réel. La fonction pensée est très intellectuelle, la fonction sentiment est très affective, la fonction intuition est tournée vers l’avenir tandis que la fonction sensation est tournée vers le présent immédiat. On imagine tous les conflits qui peuvent naître de ces différences de psychologie.
Si le sujet vous intéresse, voici un site qui analyse les conflits au sein des couples en s’appuyant sur les types psychologiques de jung :
Vous avez maintenant tous les outils pour déterminer le profil de votre partenaire et celui de vos amis. Vous savez maintenant pourquoi vous vous entendez bien avec eux ou quelle est l’origine des conflits à répétition ou des incompréhensions qui émaillent vos relations.
Je suis un peu redescendu sur Terre, désolé. Reprenons de la hauteur... et de la distance !
Maintenant, si vous n’êtes pas parvenu à vous projeter dans la situation d’un astronaute partant en expédition sur Mars, vous pouvez toujours réaliser ce petit test [9] :
Mais n’oublions que Jung, après avoir décrit tous ces profils, écrivait lui-même :
Évidemment, il n’existe pas sur Terre (et même sur Mars dans un proche avenir...) que 8 types d’humains (ou même 16 selon le test Myers-Briggs). Bien d’autres aspects influent sur notre personnalité, mais les types psychologiques de Jung, développés par Myers-Briggs, sont le plus couramment admis pour décrire notre profil psychologique.
L’expédition se prépare... en vrai !
Un vol habité sur Mars n’est pas une pure fiction. Il existe en effet un projet appelé Mars One qui prépare une telle expédition pour 2025. Et les premières sélections des candidats ont commencé. Mais il n’est pas précisé si leurs critères s’inspirent des types psychologiques de Jung...
Pour reprendre l’image du véhicule sur Mars, nous verrons dans un prochain article que quelques avaries qui se produisent à l’atterrissage (c’est-à-dire dans notre enfance !) vont aussi modeler notre façon de nous situer par rapport au monde.