Carl-Gustav Jung, dans son introduction au Yi-King traduit (en allemand) par son ami Richard Wilhem, rapporte l’histoire du Faiseur de pluie que celui-ci lui a contée :
Il y eut une grande sécheresse dans la ville où séjournait Richard Wilhelm [2] ; pendant des mois il ne tomba pas une goutte de pluie et la situation devint catastrophique. Les catholiques firent des processions, les protestants firent des prières, et les Chinois brûlèrent des bâtons d’encens et tirèrent des coups de fusil pour effrayer les démons de la sécheresse. Finalement, les Chinois se dirent : “Allons chercher le faiseur de pluie”, et celui-ci vint d’une des provinces.
C’était un vieil homme émacié. Il dit que la seule chose qu’il souhaitait était qu’on mette à sa disposition une petite maison tranquille et il s’y enferma pendant trois jours. Le quatrième jour des nuages s’amoncelèrent, et il se produisit une forte chute de neige, à une époque de l’année où aucune neige n’était prévisible, et en quantité inhabituelle. Tant de rumeurs circulèrent au sujet de cet extraordinaire faiseur de pluie que Wilhelm alla voir l’homme, et lui demanda comment il avait fait. En vrai Européen, il dit : “Ils vous appellent le faiseur de pluie, pouvez-vous me dire comment vous avez produit la neige ?”.
Le petit Chinois répondit : “Je n’ai pas fait la neige, je n’en suis pas responsable” — “Mais qu’avez-vous fait durant ces trois jours ?” — “Oh, cela, je puis vous l’expliquer, c’est simple. Je viens d’un pays où les choses sont ce qu’elles doivent être. Ici les choses ne sont pas dans l’ordre, elles ne sont pas comme elles devraient l’être d’après l’ordre céleste, aussi le pays tout entier est-il hors du Tao. Je n’étais pas non plus dans l’ordre naturel des choses, parce que j’étais dans un pays qui n’était pas dans l’ordre, aussi la seule chose que j’avais à faire était d’attendre trois jours jusqu’à ce que je me retrouve en Tao, et alors, naturellement, le Tao fit la neige”. »
Cette histoire, exemple parfait de synchronicité [3] chère à Jung, traduit la conviction que l’harmonie que nous établissons avec Dieu ou avec le Soi a un effet sur l’environnement.
Poussons alors le raisonnement plus loin...
On nous prédit un réchauffement climatique avec des conséquences désastreuses pour une grande partie de l’humanité. On accuse naturellement l’activité humaine d’être en grande partie responsable de ce phénomène grave. Mais on peut difficilement ignorer que son origine est sans doute aussi liée aux désordres sociaux que nos comportements ont mis en place.
L’histoire du Faiseur de pluie se réfère à la notion de « tao », l’harmonie de notre être avec le flux changeant d’énergies Yin et Yang qui crée la réalité duale où nous évoluons. Chaque individu peut, plutôt que de s’inscrire dans son tao, décider de suivre aveuglément la volonté de son ego et régler sa vie sur des critères matériels.
Nos sociétés elles-mêmes ont choisi de privilégier la réussite financière sur toute autre considération. Nos économies sont dominées par les marchés financiers ; dans les grandes entreprises, ce sont les actionnaires qui font la loi au détriment des salariés. Et comme les salaires sont maintenus au plus bas pour dégager plus de bénéfices, les entreprises recourent à la main-d’œuvre asiatique pour fabriquer leurs produits. Et tout le monde trouve tout cela très bien. On considère même que c’est très malin. Effectivement, le diable n’est pas loin…
Car c’est nos désordres économiques et sociaux, plus que nos pots d’échappement, qui perturbent notre planète
Une société qui ne met pas l’homme au centre de ses préoccupations est-elle une société en bon ordre ? Peut-on croire en la puissance de l’esprit, dans la loi du karma, dans la responsabilité de chaque individu face à ses actes, et penser que nos comportements sociaux n’ont aucune influence sur la façon dont le monde tourne ?
Tous nos efforts pour réduire nos émissions de CO2 n’auront aucun impact positif sur le climat si nous continuons à faire marcher nos sociétés sur la tête. Car c’est nos désordres économiques et sociaux, plus que nos pots d’échappement, qui perturbent notre planète.
Comme le faiseur de pluie, nous devons rapidement engager un changement profond de nos comportements moraux, remettre de l’ordre dans les priorités de nos sociétés, revoir nos relations humaines, pour empêcher la dégradation de notre climat. C’est lorsque nos sociétés se seront retrouvées « en tao » que nous pourrons voir la fin du dérèglement climatique qui menace la survie d’une bonne partie de l’humanité.
Tous nos efforts dans le domaine matériel n’y pourront rien changer. C’est notre âme qui souffre et qui, horrifiée par ce qu’elle voit, est en train de s’enfuir « par l’escalier secret » condamnant nos vies à une profonde et longue Nuit obscure [4].